Instruction interministérielle n° DGT/DACG/2025/116 du 10 juillet 2025 relative à la politique pénale du travail en matière de répression des manquements aux obligations de santé et de sécurité : renforcement de la coordination entre l'inspection du travail et les procureurs de la République dans la lutte contre les accidents du travail
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MINISTERE DU TRAVAIL,
DE LA SANTE
DES SOLIDARITES
ET DES FAMILLES
Direction générale du travail
MINISTERE DE LA JUSTICE
Direction des affaires criminelles
et des grâces
Le ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice
La ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
La ministre chargée du travail et de l’emploi
à
Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours d'appel
Monsieur le procureur de la République près le tribunal supérieur d'appel
Mesdames et Messieurs les procureurs de la République
près les tribunaux judiciaires
Mesdames et Messieurs les directrices et directeurs régionaux de l’économie,
de l’emploi, du travail et des solidarités
Mesdames et messieurs les directrices et directeurs départementaux de l’emploi, du travail et des solidarités et de la protection des populations, Mesdames et messieurs les directrices et directeurs des unités départementales de la DRIEETS
Mesdames et messieurs les responsables d’unité de contrôle
Mesdames et messieurs les agents de contrôle de l’inspection du travail
POUR INFORMATION
Mesdames et Messieurs les premiers présidents des cours d'appel
Monsieur le président du tribunal supérieur d'appel
Mesdames et Messieurs les présidents des tribunaux judiciaires
NOR : TSST2526889J (numéro interne : 2025/116)
Objet |
Politique pénale du travail en matière de répression des manquements aux obligations de santé et de sécurité : renforcement de la coordination entre l’inspection du travail et les procureurs de la République dans la lutte contre les accidents du travail |
Résumé |
Cette instruction a pour objet de renforcer l’effectivité de la réponse pénale et d’améliorer l’accompagnement des victimes en matière d’accidents du travail graves et mortels, par une meilleure coordination des services judiciaires et de l’inspection du travail ainsi que par la mise en œuvre d’une politique pénale s’appuyant sur une réponse pénale graduée et notamment la mobilisation du dispositif de la transaction pénale. |
Références |
Articles 28 du code de procédure pénale et L.8114-4 à L.8114-8 du code du travail Instruction DGT n°2016/03 du 12 juillet 2016 et circulaire DACG du 18 juillet 2016 de présentation de l’ordonnance n°2016-413 du 7 avril 2016 Instruction conjointe DACG/DGT du 23 juin 2020 relative à la mise en œuvre de la loi dite du 23 mars 2019 de programmation 2018-2019 et de réforme pour la justice. |
En 2023, 810 personnes sont décédées au travail, dont 38 âgées de moins de 25 ans et près de 590 000 accidents du travail, dont 40 000 accidents du travail graves, ont été recensés[1].
Ces accidents laissent derrière eux des familles endeuillées, des victimes traumatisées et des collectifs de travail bouleversés. Ils questionnent notre capacité collective à faire du travail un lieu sûr pour tous. Ils ne sont pourtant pas une fatalité.
Ces accidents graves et mortels sont fréquemment la conséquence de l’absence ou de la mauvaise évaluation des risques par l’employeur, et des manquements qui en résultent dans la mise en œuvre des mesures de prévention nécessaires. La préservation de l’intégrité physique des travailleurs qui est une obligation légale de moyens renforcée requiert un respect scrupuleux de la réglementation du travail et des politiques de contrôle et de sanction efficientes.
Le Plan de prévention des accidents du travail graves et mortel déployé depuis 2022 traduit l’engagement du ministère du travail et des partenaires sociaux dans la lutte contre les accidents du travail, en dotant l’ensemble des acteurs de la santé au travail d’une feuille de route claire en matière de prévention et en ciblant de façon stratégique plusieurs actions préventives à conduire.
Il importe de manière plus générale que l’ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre les accidents du travail s’investisse, de façon coordonnée, dans une politique de prévention des accidents du travail, soit par des initiatives destinées à renforcer la culture de la prévention en entreprise, soit par des actions visant à responsabiliser et accompagner les entreprises, soit encore par la répression effective des manquements à la réglementation du travail, ciblant particulièrement les risques professionnels les plus graves.
Par sa mission de contrôle, l’inspection du travail participe pleinement à cette démarche. En outre, le législateur a, ces dernières années, profondément modifié l’économie du droit pénal du travail, en dotant le service d’inspection du travail de nouveaux pouvoirs de police judiciaire.
L’instruction conjointe DACG/DGT du 23 juin 2020 était venue préciser les conditions de mise en œuvre des pouvoirs de l’inspection du travail étendus par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019. Elle s’inscrivait dans une logique de clarification des prérogatives de chaque acteur.
Forte de l’engagement partagé et renouvelé du ministère de la justice et du ministère du travail dans la politique nationale de prévention des accidents graves et mortels au travail, la présente instruction conjointe a pour objet de définir les actions de l’inspection du travail et des procureurs de la République, au service de l’efficacité de la réponse pénale, en se fondant sur :
- une réponse graduée, particulièrement adaptée aux infractions relatives à la sécurité des travailleurs, pour lesquelles est avant tout recherchée la régularisation des manquements constatés (1) ;
- une coordination interinstitutionnelle renforcée, préalable nécessaire à l’amélioration de la qualité des procédures dans ce contentieux technique (2) ;
- un accompagnement des victimes et des parties civiles (3).
La politique pénale de lutte contre les accidents du travail ainsi définie pourra utilement conduire à l’élaboration ou à l’actualisation de conventions régionales ou locales, entre les directeurs régionaux de l’économie, de l’emploi du travail et des solidarités (DREETS) ou les directeurs départementaux de l’emploi du travail et des solidarités (et de la protection des populations) (DDETS-PP), et les procureurs généraux ou les procureurs de la République.
* * *
I. La mise en œuvre d’une réponse pénale graduée renforcée
1. Le renforcement de la verbalisation des infractions à la législation sur la sécurité au travail par l’inspection du travail dans les situations les plus graves
Si la politique de prévention des accidents du travail doit d’abord permettre d’accompagner des entreprises dans le renforcement de l’acculturation sur les démarches de prévention des risques, elle doit également passer par une politique plus coercitive lorsque des infractions sont constatées, dans des situations susceptibles d’être source d’accidents du travail graves ou mortels.
Afin de prévenir le plus en amont possible la survenance de ce type d’accidents, il appartient aux agents de contrôle de l’inspection du travail d’user largement de leur pouvoir de verbalisation pour les infractions à la législation sur la sécurité au travail (article L. 8113-7 du code du travail) qui mettent le plus gravement en cause la sécurité des travailleurs, même en l’absence d’accident du travail.
Cela concerne particulièrement le non-respect des règles relatives à :
- la prévention des risques de chutes de hauteur ;
- l’utilisation des équipements de travail et des moyens de protection non conformes aux prescriptions techniques de sécurité ;
- la formation à la sécurité des travailleurs ;
- l’exposition à des agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques ;
- la protection des jeunes travailleurs et des travailleurs intérimaires.
2. La priorisation du recours à la transaction pénale en l’absence de survenance d’accidents du travail
L’ordonnance 2016-413 du 7 avril 2016, relative au contrôle de l’application du droit du travail pour apporter des réponses plus rapides et plus efficaces, a notamment institué aux articles L.8114-4 à L. 8114-8 du code du travail une procédure spéciale de transaction pénale en matière de droit pénal du travail.
L‘initiative du recours à cette procédure relève du directeur régional de l’économie, de l’emploi du travail et des solidarités (DREETS), sur la base d’un procès-verbal d’infraction de l’inspection du travail, au regard des critères fixés conjointement avec le procureur de la République, ce dernier étant ensuite compétent pour l’homologation de la transaction pénale.
Cette procédure, détaillée aux termes de l’instruction DGT n°2016/03 du 12 juillet 2016 et de la circulaire du ministère de la justice du 18 juillet 2016 et de son annexe 3 recensant la liste des infractions susceptibles de transaction, est applicable à l’ensemble des infractions prévues dans la 4ème partie du code du travail relative à la santé et la sécurité au travail, sauf exclusions[2].
Elle permet d’apporter une première réponse pénale rapide et d’imposer une régularisation au contrevenant par la prise de mesures complémentaires, tout en favorisant l’effectivité de la sanction pénale avec le paiement de l’amende transactionnelle exigée.
Elle est ainsi particulièrement adaptée à la répression des infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, en l’absence de survenance d’un accident du travail.
Dans le cadre de la politique pénale territoriale, le recours à la transaction pénale sera largement favorisé par les procureurs de la République et les DREETS et, sous l’autorité de ceux-ci, les DDETS (PP), chaque fois qu’une mesure de régularisation sera possible et apparaîtra opportune pour concourir à la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise mise en cause.
Une attention particulière devra être apportée par les DREETS et DDETS (PP) au suivi de la bonne exécution des transactions homologuées, lesquelles veilleront à signaler dans les meilleurs délais au procureur de la République et à lui retourner les procédures pour lesquelles il aura été constaté une inexécution partielle ou totale des obligations mises à la charge des employeurs.
Les procureurs de la République veilleront à engager des poursuites, lorsque les mis en cause auront refusé le principe d’une transaction pénale ou n’auront pas respecté les termes de la transaction homologuée.
3. Le renforcement de la réponse pénale en cas de risque grave et d’accident grave ou mortel
En présence de manquement obérant gravement la sécurité des travailleurs, ou lorsque surviennent des accidents graves du travail, les DREETS et DDETS (PP) s’attacheront à ce que les procès-verbaux de constat d’infractions des agents de contrôle de l’inspection du travail fassent l’objet d’une transmission diligente[3] au procureur de la République.
Ce dernier veillera à ce qu’une réponse pénale ferme et appropriée soit apportée aux situations qui lui seront ainsi signalées.
A cet égard, la peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision de condamnation, encourue en matière d’accident du travail en application de l’article 131-35 du code pénal, pourra utilement être requise en cas d’accidents graves ou mortels.
L’attention des acteurs de la chaine pénale doit, en outre, être attirée sur l’importance d’identifier et de poursuivre l’ensemble des responsables impliqués dans la survenance d’accidents du travail.
En premier lieu, l’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale doit être privilégiée. Elle n’exclut en rien les poursuites contre les personnes physiques pour les infractions involontaires à la vie ou à l’intégrité des personnes, dès lors que les conditions juridiques de l’article 121-3 du code pénal sont réunies.
En second lieu, dans une logique de responsabilisation accrue des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre, il importe qu’au-delà de la seule responsabilité pénale de l’employeur, les investigations diligentées s’attachent, en cas d’intervenants multiples, à démontrer l’imputabilité de l’infraction d’homicide ou de blessure involontaire à toutes les personnes débitrices d’une obligation de sécurité au travail, qu’elles soient impliquées en vertu d’un lien contractuel, licite ou illicite[4], ou qu’elles soient intervenues en l’absence de toute relation contractuelle.
A cette fin, les procès-verbaux des agents de contrôle de l’inspection du travail concourant à l’enquête pénale doivent avoir pour objectif, de la façon la plus précise possible, d’analyser l’organisation de l’entreprise et des éventuelles situations de délégation de pouvoir, de déterminer de façon circonstanciée les situations de sous-traitance et, le cas échéant, d’identifier l’organe ou le représentant de la personne morale responsable.
II. Une coordination interinstitutionnelle renforcée
La présente instruction insiste sur l’intérêt particulier de la cosaisine pour les enquêtes en matière d’accident du travail, déjà souligné par l’instruction conjointe du 23 juin 2020.
En matière d’accidents du travail graves et mortels, ce dispositif est particulièrement adapté et il convient de le mobiliser entièrement. Ses modalités de mise en œuvre peuvent utilement être précisées par la signature de protocoles locaux.
Par une articulation efficiente des prérogatives de chaque service saisi, la cosaisine doit, en effet, permettre de limiter le temps des investigations à ce qui est strictement nécessaire pour caractériser le (les) manquement(s) qui sont en cause dans la survenance de l’accident et ainsi contribuer à garantir la réparation des préjudices subis par les victimes ou leurs ayant droits dans des délais raisonnables.
Comme énoncé dans la précédente instruction conjointe précitée, les services de l’inspection du travail et ceux de police ou de gendarmerie cosaisis sont fortement encouragés à se transmettre directement et réciproquement les pièces de procédure utiles à l’accomplissement de leur mission commune, et notamment leurs procès-verbaux, sans aucune nécessité de recueillir l’accord préalable du procureur. En cas d’accident du travail, l’agent de contrôle peut transmettre ses éléments de constats et l’officier de police judiciaire les procès-verbaux d’auditions qu’il a réalisés.
La participation à l’audience de jugement des agents de l’inspection du travail est vivement préconisée afin qu’ils y présentent leurs observations orales ou écrites. Cette présence à l’audience est en effet particulièrement précieuse en matière d’accidents du travail graves et mortels, afin d’apporter une expertise technique à la juridiction de jugement. Les situations justifiant cette intervention et les modalités de convocation par le parquet devront être précisées par la voie de conventions locales entre les parquets et l’inspection du travail.
Les rencontres régulières des magistrats référents en matière de droit pénal du travail et les référents justice de l’inspection du travail, telles que prévues par la circulaire du ministère de la Justice du 18 juillet 2016 et l’instruction DGT du 12 juillet 2016 précitées, restent l’occasion d’évaluer la mise en œuvre de ces dispositifs dans la politique locale de lutte contre les accidents du travail.
III. Le renforcement de l’accompagnement des victimes et de leur famille
L’accompagnement des victimes d’accidents du travail et de leurs ayants droits doit faire l’objet d’une attention soutenue et permanente des services de l’Etat.
Ainsi, dans le cadre de sa mission d’information et de conseils techniques, prévue à l’article 3 de la convention n°81 de l’OIT, le système d’inspection du travail doit veiller à informer les victimes des différentes voies leur permettant de demander la réparation de préjudices résultant d’une atteinte à la santé en lien avec le travail.
Par ailleurs, il est préconisé que les services d’inspection du travail manifestent aux victimes et à leurs proches toute l’écoute rendue nécessaire par les situations rencontrées et orientent les personnes concernées vers les structures de soins et de conseil propres à les prendre en charge utilement (unités médico- judiciaires et associations d’aide aux victimes).
Les parquets doivent poursuivre les politiques partenariales déjà mises en œuvre avec ces associations d’aide aux victimes afin de permettre la prise en charge immédiate et adaptée de ces dernières à la suite d’accidents du travail.
***
La présente instruction sera ultérieurement complétée par des fiches pratiques destinées à faciliter sa mise en œuvre.
Nous vous saurions gré de bien vouloir veiller à la diffusion de la présente instruction et de nous tenir informés de toute difficulté qui pourrait survenir dans sa mise en œuvre, sous le timbre de la direction des affaires criminelles et des grâces (bureau du droit économique, financier, social, de l’environnement et de la santé publique) et sous le timbre de la direction générale du travail (bureau du cadre de légalité et des modalités d’action du système d’inspection du travail).
Fait à Paris, le 10 juillet 2025.
Le ministre de la Justice,
Gérald DARMANIN
La ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles,
Catherine VAUTRIN
La ministre chargée du travail et de l’emploi,
Astrid PANOSYAN-BOUVET
[1] Source : Bilan des conditions de travail 2023 | Travail-emploi.gouv.fr | Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles.
[2]Une fiche pratique détaillant le champ d’application de la transaction pénale en matière d’atteintes à la réglementation sur la sécurité des travailleurs sera diffusée ultérieurement.
[3] L’instruction DGT du 28 septembre 2023 relative aux enquêtes accidents du travail mortels ou graves et à la circulation d’information prescrit aux agents de contrôle de l’inspection du travail d’apporter des suites à leurs enquêtes dans les meilleurs délais.
[4] Tel est notamment le cas du recours à des sous-traitants illicites ou à de faux travailleurs indépendants.